Pierre Martinet, surnommé « Pol », né le à Laudun et mort à une date inconnue au XXe siècle, est un militant anarchiste français. Il est surtout connu pour être l'un des principaux fondateurs de l'anarchisme individualiste.
D'abord criminel, Martinet rejoint progressivement l'anarchisme. En 1884, il est l'un des meneurs anarchistes pendant l'affaire de la salle Lévis, où les anarchistes et les socialistes blanquistes se battent très violemment. Enchaînant les condamnations judiciaires et étant suspecté d'être un informateur de la police pour son caractère erratique, entre autres, il se brouille avec un certain nombre d'anarchistes français, comme Jean Grave. Après avoir battu le député Achille Scrépel et s'être engagé à Roubaix dans des publications et actions de propagande, il s'enfuit en Suisse.
Revenu en France, condamné, il reprend son militantisme en 1888-1889 et est membre du premier groupe à se désigner comme « anarchiste individualiste ». Lançant des attaques contre les anarcho-communistes et les socialistes, il en vient peu à peu à théoriser cette nouvelle tendance au sein de l'anarchisme. Emprisonné lors du procès de Ravachol, celui-ci réclame à la justice que Martinet puisse intervenir pour qu'il exprime son idéologie et permette d'expliquer le mobile de ses attentats.
Martinet reprend le militantisme à sa libération, et entre 1895 et 1896, met en place le premier journal anarchiste individualiste, La Renaissance, qui publie 117 numéros avant de fermer. Après la fin du journal, il cesse tout militantisme.
En 1918, Charles Malato écrit qu'il a abandonné l'anarchisme et est devenu propriétaire.
Biographie
Jeunesse et premières actions
Pierre Paul Désiré Martinet naît à Laudun le , il est le fils d'un propriétaire terrien du Gard. Il commence à être condamné plusieurs fois par la justice française pour différents motifs, dans l'ordre :
- En 1866, à Marseille, huit jours de prison, pour port d’arme prohibée;
- En 1867, à Nîmes, deux ans pour vol;
- En 1871, six mois de prison pour cris séditieux;
- En 1873, à Paris, cinq ans de prison, cinq ans de surveillance pour vol et outrages;
- En 1880, à Paris, quinze mois de prison pour vol, abus de confiance et outrages aux bonnes mœurs.
Il rejoint le mouvement anarchiste et devient un compagnon pendant cette période et est fiché par la police comme anarchiste à partir de 1884.
Affaire de la salle Lévis
Le , un meeting important du mouvement ouvrier se déroule à la salle Lévis et rassemble plus de trois mille participants,. Plusieurs orateurs socialistes blanquistes s'y manifestent, comme Édouard Vaillant ou Jules Guesde,. Le long des couloirs menant à la pièce, des militants blanquistes ont reçu l'ordre de garder les abords de la salle et d'empêcher aux anarchistes d'y entrer. Ils gardent aussi la tribune. L'un des orateurs anarchistes, Gustave Leboucher, tente d'entrer mais est refoulé et se retrouve dans la rue. Cependant, un groupe d'une trentaine de compagnons anarchistes, dont Martinet est l'un des meneurs, se présente ensuite à l'entrée de la salle et commence à forcer le passage le long des couloirs pour rejoindre la salle.
Ils parviennent à entrer après quelques échauffourées, en arrivant à repousser les militants socialistes qui bloquent le passage, ils entrent dans la salle et dans le meeting. Ils se dirigent vers le côté gauche de la tribune, ne sont pas arrêtés et s'installent là. Ils refusent toute légitimité au processus électoral commencé dans la pièce sans eux, et veulent faire élire Leboucher et Ponchet à la place de Vaillant qui est en train d'être élu. Ponchet monte sur la tribune, déclare que les ouvriers devraient élire un ouvrier et non Vaillant, puis est repoussé. Un autre militant anarchiste, Daniel, tente de prendre la parole à sa suite mais il en est empêché. Alors, tandis que les socialistes sont en train de faire monter sur la tribune un autre orateur socialiste, les anarchistes présents prennent des marteaux qu'ils ont apporté ; éclatent les tables qui sont face à eux, s'arment des débris qu'ils peuvent tirer de ces tables puis se jettent sur la tribune et le cordon de sécurité socialiste autour de Vaillant.
Ils essaient d'escalader l'estrade trois fois mais les socialistes qui la contrôlent leur envoient des carafes, les frappent avec des cannes, ce qui rend impossible de l'escalader. Alors, Martinet entreprend un mouvement tournant avec ses compagnons, parvient à monter en passant par un côté et arrive sur l'estrade. Là ; les anarchistes en viennent au corps à corps avec les socialistes ; tandis qu'une partie importante de socialistes de la pièce commence à fuir vers l'extérieur, et que la police arrive dans la rue dans un tumulte - les longs couloirs rendant la sortie plus difficile ; le combat continue. Les anarchistes, qui sont en vaste infériorité numérique mais arrivés sur l'estrade se battent avec les socialistes en s'armant de tables, chaises, couteaux ; des socialistes proches de la sortie parviennent à détacher des pavés du sol et commencent à les envoyer sur l'estrade, ce qui ajoute au chaos de la scène. Un vieillard proche de Blanqui est reconnu par plusieurs anarchistes, qui l'attaquent.
Les socialistes décident alors de fuir la pièce et le tumulte se poursuit à l'entrée de la salle Lévis ; les anarchistes prennent l'estrade et commencent à y parler pour les personnes encore présentes. Au dehors, les socialistes, qui ne sont pas satisfaits de s'être fait « démonter » par trente militants seulement, décident de retenter un retour offensif, sans succès. La police parvient ensuite à entrer dans la pièce et arrête une partie des militants anarchistes.
Quelques jours plus tard, Martinet écrit au Soir pour lui demander de rectifier l'information selon laquelle il aurait donné des coups de couteau pendant cet événement.
Au début de l'année 1885, il participe au procès de Leboucher en tant que témoin à décharge,,. Il assure que son compagnon arrêté n'a rien fait de répréhensible et qu'il doit être innocenté par la justice, ; il se plaint aussi du fait que la justice serait plus douce pour les bourgeois que les ouvriers comme Leboucher. Le procureur le coupe et l'empêche de parler, lit ses condamnations puis déclare que pour l'honneur de la justice, il ne peut le laisser parler plus longtemps, et l'exclut de l'audience,.
Poursuite de ses activités, conflits, suspicions
Alors que l'illégalisme, l'idéologie mêlant criminalité et anarchisme, n'est pas encore une idéologie constituée - naissant suite aux actions de Clément Duval et des Intransigeants comme Vittorio Pini, Martinet est mis en cause par d'autres anarchistes ; qui trouvent qu'avoir fait parler un criminel pour défendre un militant est indigne ; il doit se défendre des accusations d'être quelqu'un d'immoral - déclare être pauvre et ne pas mériter d'être exclu des compagnons. Après deux heures où il se défend, le groupe décide de lui permettre de rester parmi les anarchistes mais décide que ses prises de position n'engagent que lui et qu'il ne peut parler au nom des anarchistes.
Martinet poursuit son militantisme. Le avec quelques autres anarchistes, il se rend à Montreuil et Bagnolet, entre autres, pour recruter tous les sans abris et chômeurs qu'il peut et les envoyer vers la place de l'Opéra, où ils doivent manifester. Il leur donne comme indication de fuir dès que la police arriverait, mais de revenir si possible rapidement après. Il se débat avec les policiers venus l'arrêter,.
Le , le journal socialiste L'Intransigeant, le cible comme indicateur de la police ; selon la présentation faite par le journal, Martinet serait un agent provocateur, ses absences dans les dîners anarchistes seraient suspectes alors qu'au contraire, la journée, il participerait à des meetings, et il serait encore en liberté alors que sa condamnation à être surveillé supposerait qu'il devrait résider à Melun. L'ensemble de ces éléments pousse le journal à le considérer comme un agent provocateur de la police, qui aurait été arrêté pour ne pas compromettre sa couverture et résoudre le fait qu'il ne soit pas à Melun.
Une telle catégorisation de Martinet comme indicateur de la police est partagée par Jean Grave, avec qui l'anarchiste est en conflit ouvert. Alors que Martinet lui rend visite pour lui demander d'insérer dans La Révolte un démenti des accusations faites par L'Intransigeant, Grave lui dit qu'il ne le fera pas et qu'il pense, comme Henri Rochefort, le directeur de L'Intransigeant, que Martinet est un « mouchard ». Martinet lui demande des preuves, Grave lui répond de les demander à Rochefort, avant de lui fermer la porte au nez.
Pour cette affaire, il est condamné de six mois de prison et cinq ans de surveillance.
Déplacements, exil
Dès sa sortie de prison, il quitte l'Île-de-France et se rend en Belgique, dont il est expulsé très rapidement après avoir insulté un bourgmestre et la traite des blanches, c'est à dire le trafic d'êtres humains qui sont des femmes et d'origine européenne.
Il revient en France après son expulsion et s'installe à Roubaix. Là entre août 1885 et février 1886, il s'engage dans de la propagande anarchiste en faisant des affiches. Parfois, il emporte ces affiches avec lui, quand il travaille comme « homme-sandwich ». Il fait des discours en public, qui plaisent assez aux ouvriers des environs. Martinet écrit et publie aussi plusieurs textes comme Les infamies de la police de Roubaix, Les deux complices ou encore Le Pharisien et le gros porc.
Le , le député bourgeois Achille Scrépel organise un meeting à Lys-lez-Lannoy pour se donner une légitimité populaire. La réunion est publique et contradictoire ; et Martinet décide de s'y rendre. Il est rejoint par de nombreux compagnons roubaisiens et des ouvriers - l'ensemble fait plusieurs centaines de personnes tandis que les autorités ne disposent que du garde champêtre de Lys dans la pièce pour essayer de contrôler les débats. Ils entrent dans le meeting et s'installent. Au début de l'assemblée, un orateur se lève, poussé par Scrépel, et déclare qu'il faudrait élire Scrépel comme président de l'assemblée. Sa candidature est mise aux voix, mais seulement soixante voix (≈20%) sur les plus de trois cent personnes le soutiennent. Elle est repoussée par environ deux cent cinquante votants (≈80%). Un soutien de Scrépel prend alors la parole, se fait insulter, et déclare que puisque Scrépel organise le meeting, il doit être élu. Cette fois, il n'obtient plus que trente voix, tandis que le candidat syndicaliste soutenu par les anarchistes, Henri Carrette, obtient le reste des voix. Les républicains présents tentent de remettre la question au vote, ce qui pousse Martinet à s'exclamer :
« Voilà deux fois que nous votons ! Carrette sera président ! »
Une bagarre éclate ensuite sur l'estrade, les républicains s'enfuient rapidement de la salle - sauf Scrépel, qui est encore au pied de l'estrade ; Martinet et trois autres compagnons le poursuivent, prennent une table et le bloquent entre la table et l'estrade. Martinet lève la canne qu'il tient de manière menaçante vers le député, mais celui-ci parvient à s'enfuir et quitter la salle, sous les échauffourées. Le maire de Lys essaie d'entrer dans la salle pour empêcher la bagarre de se poursuivre mais les anarchistes présents le prennent pour le commissaire de police, et le frappent plusieurs fois au visage avant qu'il ne s'enfuie aussi. Pour éviter d'être arrêtés, les anarchistes se forment ensuite en un groupe compact et quittent les lieux avant de rejoindre Roubaix. Martinet est arrêté le lendemain alors qu'il publie des affiches et mis en procès pour l'agression du maire.
En attendant son procès, il est arrêté pour les affiches qu'il placarde, puis, après son acquittement faute de preuves pour l'agression du maire, Martinet est de nouveau arrêté, cette fois-ci pour avoir visé le commissaire central de Roubaix dans une affiche.
Le , il est condamné à trois mois de prison à Paris pour avoir échappé à sa surveillance. En février, il est condamné à Douai par contumace à six mois de prison et cinq ans d'interdiction de séjour pour coups et blessures, entre autres. Il rejoint d'abord Metz avec sa compagne puis la Suisse et plus précisément Genève. Les compagnons genevois sont suspicieux avec lui, car ils sont avertis par des militants français de faire attention à ce profil comme possible indicateur de la police. Il est arrêté à Annemasse encore dans la période où il peut faire appel, fait appel et est donc laissé en liberté - avant de repasser en Suisse, s'installant à Lausanne, cette fois.
Il quitte la ville en 1888, poursuivi par ses créanciers, se fait arrêter à Marseille en 1888 et est envoyé faire sa peine de prison.
Fondation de l'anarchisme individualiste
Revenu à Paris après sa libération, il s'intègre aux cercles anarchistes de la capitale de nouveau. Profitant au cours des années 1889-1890 des débats sur l'illégalisme naissant, il commence à théoriser l'individualisme anarchiste et appartient au premier groupe qui s'auto-désigne de la sorte,.
En 1890, étant donné que les compagnons ne veulent pas le soutenir financièrement, il fonde le journal L'Anarchie seul. Celui-ci est condamné dès le départ par son faible nombre de lecteurs et disparaît rapidement. Martinet s'engage alors aussi dans des discours, notamment certains qui visent l'armée et les bataillons disciplinaires. En 1891, il participe aux réunions anarchistes salle Favier, où les compagnons accueillent et donnent à manger aux sans-abris, mendiants et marginaux et font des discours.
Il s'oppose à la grève générale comme principe d'action, soutenant que les grèves générales ne serviraient qu'à détourner les militants de l'action directe.
Pendant cette période, les rapports de la police à son sujet sont circonspects sur son rôle, on y lit:
« Voyez toutes les bagarres qui se sont produites dans les réunions depuis deux ans, les incidents parfois sanglants intervenus dans quelques journaux et cherchez-en l’auteur. C’est toujours Martinet qui propose, et son troupeau qui le suit [...]. Impossible de savoir ce que veut ce sphinx anarchiste, dont les actes et les paroles sont si souvent contradictoires, d’un jour à l’autre. En tout cas s’il fait le jeu de quelqu’un, ce quelqu’un ne doit pas toujours être ravi. »
Martinet poursuit ses polémiques ouvertes envers les socialistes et les anarcho-communistes ; il les cible et attaque ces deux groupes. Au début de l'Ère des attentats (1892-1894) et les premiers attentats de Ravachol, l'anarchiste, alors dans le Finistère, sait que la répression sur les anarchistes est importante, hésite à fuir au Royaume-Uni puis choisit plutôt de revenir à Paris en le communiquant même dans la presse. Il est arrêté peu après, mis en procès pour avoir incité des marins à se révolter à Brest puis condamné à un an de prison.
Pendant le procès de Ravachol, il lui écrit pour lui suggérer d'appeler un orateur « de notre foi » pour expliquer l'idéologie qu'il suit au jury. Martinet cite parmi les noms qu'il suggère, en plus de lui-même, Élisée Reclus ou Sébastien Faure. Ravachol et son avocat Louis Lagasse acceptent, mais la demande, qui est considérée par la justice, n'est pas accordée. Cependant, cette possibilité montre l'aspect spectaculaire du procès, où l'État français est pris de court par la défense de Ravachol et, au lieu de déshumaniser le terroriste comme dans la plupart des procès similaires, se trouve dans une situation où Ravachol parvient à présenter l'anarchisme à la cour comme une contre-idéologie à l'idéologie d'État.
Il est libéré le . Le , à la suite de l'attentat de l'Assemblée nationale, des journalistes viennent l'interroger, alors qu'il est en compagnie de Laurent Tailhade. Les deux soutiennent entièrement l'attentat, qui vise des députés impopulaires et n'a tué personne, Martinet écrit quelques vers comme réaction :
« Plus on tuera
Mieux ça vaudra
Hardi les gars
C’est germinal
Qui fera pousser les semailles. »
Réfugié au Royaume-Uni en 1894, il revient en France en 1895 et reprend ses activités de militantisme anarchiste individualiste. Il fonde un nouveau journal : La Renaissance, qui publie 117 numéros entre fin 1895 et l'été 1896. Dans ce journal, Martinet et ses compagnons commencent à théoriser l'anarchisme individualiste ; c'est à cette période que le mouvement individualiste se distingue réellement du reste de l'anarchisme, en cessant de se fonder sur une critique de l'anarcho-communisme et plutôt en débutant sa propre autonomie idéologique. Martinet est l'un des anarchistes à assumer pleinement les actions d'Émile Henry et à le réhabiliter comme un symbole de l'anarchisme individualiste. En 1895-1896, il adopte et propage aussi largement les thèses illégalistes, en critiquant les autorités traditionnelles de l'anarchisme comme Grave ou Pierre Kropotkine et en soutenant l'usage de la reprise individuelle, c'est à dire le vol d'une cible bourgeoise pour redistribuer les produits du vol.
En 1896, après la fin du journal, il arrête de militer et laisse place à l'un de ses disciples, Eugène Renard, comme principal théoricien de l'anarchiste individualiste en France.
En 1918, Charles Malato écrit à Grave et déclare que Martinet est devenu un propriétaire et a abandonné l'anarchisme.
Postérité
Avec Gabriel Cabot et Albert Libertad, il est considéré comme l'une des principales figures de la mouvance anarchiste individualiste.
Références
Bibliographie
- Walter Badier, « Émile Henry, le « Saint-Just de l'Anarchie » », Parlement(s) : revue d'histoire politique, no 14, , p. 159-171 (ISSN 1768-6520 et 1760-6233, DOI 10.3917/parl.014.0159, lire en ligne)
- (en) Constance Bantman, Jean Grave and the networks of French anarchism, 1854-1939, Palgrave Macmillan, (ISBN 978-3-030-66617-0)
- Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, Rennes, Presses universitaires de Rennes (PUR), (EAN 9782753507272)
- Gilles Ferragu, En quête de rupture : de Ravachol à Émile Henry, Paris, Histoire Politique, (lire en ligne)
- (en) Carl Tobias Frayne, Individualist Anarchism in France and Its Legacy (thèse) [« L'anarchisme individualiste en France et sa postérité »], Cambridge, University of Cambridge, (lire en ligne)
- Jean Grave, Le Mouvement libertaire sous la IIIe République, Paris, Les œuvres représentatives, (lire en ligne)
- (en) John M. Merriman, The dynamite club: how a bombing in fin-de-siècle Paris ignited the age of modern terror, Yale, Yale University Press (YUP), (ISBN 978-0-300-21792-6)
Liens externes
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